Ces soirées de retrouvailles familiales n’étaient pas vraiment la tasse de thé de Chaste-du-cœur. Pourtant, elle resplendissait avec ses sourires sous les feux des projecteurs, elle l’espoir de la famille souche, celle qu’on espérait voir Haute-prêtresse pour honorer la dynastie. Petit à petit, à chaque conversation, Éa reculait d’un pas, puis d’un autre, jusqu’à pouvoir enfin s’éclipser dans l’obscurité d’un coin de mur isolé, loin des festivités nocturnes, de leurs lueurs et de leurs victuailles.
Appuyé là, contre ces briques froides, se tenait déjà quelqu’un d’autre. La rousse sourit simplement, observant l’homme à la peau noire tenir un verre de jus de fruit.

« Pas d’alcool ? Ca ne te ressemble pas. »

Il leva ses yeux de jais vers elle, son expression tout d’abord blasée, mais qui peu à peu esquissa un sourire poli tandis que son regard se posait sur la rousse.

« Vous voir en boire serait plus étonnant. » Tirant une maigre révérence, il inclina légèrement la tête avant de la redresser. « Bonsoir, Éa. »

La dénommée vint se poser à son tour contre le mur ; le contact glacial la fit frissonner, ce frisson provoquant une petite grimace qui déforma un instant son visage d’un dégoût enfantin. Elle frotta ses bras pour se réchauffer.

« Bonsoir Celil. » répondit la jeune femme en ignorant le sourire moqueur de son cousin.

Ils restèrent ainsi un long moment sans rien dire, le jeune homme fixant son verre en faisant miroiter son liquide, et la demoiselle tendant l’oreille pour écouter les enfants s’exciter et les adultes s’exclamer.

« Je ne pensais pas te voir. D’ailleurs, j’ai cru que tu n’étais pas là.
- J’ai bien essayé. Malheureusement, je n’ai pas réussi à trouver un client pour me retenir. » Il sourit en regardant sa cousine. « Ce n’est pas comme si on se parlait vraiment, de toute façon. On si quelqu’un voulait me voir ici.
- Non, c’est vrai. »

La prêtresse répondit sans se cacher, faisant tomber son sourire de façade. Elle se sentait fatiguée. Quelques secondes de rien passèrent, jusqu’à ce que Celil hausse les épaules.

« Vous n’aimez pas plus cette famille que moi. »

Chaste-du-cœur se renfrogna immédiatement, tentant malgré tout de sourire pour ne pas se montrer agacée. Ses sourcils tressautaient malgré elle.

« Ne dis pas n’importe quoi. C’est notre famille. Je les aime !
- Vous les détestez autant que moi, c’est pour ça que vous vous retrouvez ici, avec moi, que vous n’aimez guère plus. »

Ne supportant d’être ainsi dévoilée, Éa fit volte-face et ferma ses poings, prenant un air agacé bien trop adorable pour être crédible. C’était une question de survie : détourner le sujet pour apporter l’attention sur son interlocuteur plutôt que sur elle. Ses yeux dans ceux de Celil, elle chouina :

- Tu peux arrêter de me vouvoyer ?
- Vous pouvez toujours rêver. » rétorqua immédiatement l’éphèbe avec un sourire en coin.

L’homme détourna son regard et sa cousine continua de la fixer un moment, dans la même position tendue. Elle ne supportait pas ses airs supérieurs, et encore moins sa perspicacité à son égard ! Ils se détestaient : comment pouvait-il aussi bien la comprendre ? Et lui, il se pavanait, alors qu’il était sorti de cette pression infernale que d’être un prêtre digne de la famille ! Ha, qu’il en avait de la chance, d’être un rebut ! Il avait pu saisir sa liberté.

« … Vous croyez que ça ne m’a rien coûté ? Que ma vie a été tranquille, avant de partir du temple ? » Voyant la mine surprise d’Éa, l’éphèbe ajouta : « Vous me regardez avec une telle haine que je n’ai pas de peine à deviner ce que vous pensez. »

Chaste-du-cœur se retourna alors, lui montrant son dos, en poussant un cri aigu de surprise. Elle plaqua ses mains sur son visage, embarrassée. Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Celil ricana simplement avant d’attraper les mains de sa cousine. Il lui offrit son verre sans vraiment lui laisser le choix, et affirma finalement :

« Vous avez raison. Le sans-alcool ne me va pas. »

Ricanant comme une courtisane, il parti à reculons, ses yeux plongés dans ceux de la rousse. Puis, d’un air snob, il se retourna pour disparaître en se confondant parmi les membres de leur famille. Chaste-du-coeur s’appuya de nouveau contre le mur et se laissa tomber, ses fesses sur ses talons. Elle lâcha un long soupir, concluant finalement d’un murmure :

« De tous, tu es celui que je déteste le moins. »